A mi- mots : Pascal Quinard

Saisissant portrait de l’écrivain anachorète, dont Jacques MaIaterre capte l’énergie étrange et l’exaltation furieuse.
Cet homme est fou, se dit-on. Mais cet homme n’est pas n’importe qui, et sa folie pourrait bien être une forme ultime de sagesse, agaçante et décalée. Cet homme, c’est Pascal Quignard, prix Goncourt 2002 pour Les Ombres errantes, musicien latiniste, érudit malicieusement cuistre, merveilleusement lettré, auteur surtout d’une œuvre proliférante, composée de best-sellers autant que de traités pour initiés. Un homme qui pose, disent certains: l’illisible coquet qui joue au grand artiste, le dernier avatar – forcément anachronique – du mythe de l’écrivain retiré.
Un homme, pourtant, qui reste lui-même: un homme, simplement. C’est peut-être le principal intérêt du film de Jacques Malaterre que de nous donner à voir cette tautologie: Quignard est un corps, un visage, des yeux fatigués, une barbe qui pousse mal, un crâne tonsuré et des mains nerveuses, beaucoup de gestes, abrupts, décidés, devant le clavier de l’ordinateur, son piano, un paysage japonais. Et une voix, véloce, sûre de ses effets, presque sartrienne dans son détachement quasi métallique, parfois à peine veloutée. Un homme d’une très grande violence contrôlée: les premières images, assez impressionnantes, nous le montrent brûlant ses propres manuscrits, avec une sorte de jubilation délirante, un regard à la limite de la méchanceté. La suite du film va s’employer à capter cette énergie étrange d’un écrivain qu’on a vraiment l’impression de rencontrer pour la première fois: un maniaque qui coupe au canif ses stylos Bic pour qu’ils entrent dans son étui à lunettes, qui désigne le Japon comme son territoire d’écriture et le monde comme une très vaste bibliothèque, où le sordide côtoie le sublime, chaque chose se métamorphosant en fiche, chaque mot trouvant sa place sur l’écran toujours allumé d’un labyrinthe vibrant de fragments.

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Folie de Quignard : son exaltation devant un panorama industriel et son calme d’étymologiste, sa manière surtout de se dire au-delà de toute entrave, très loin des vanités inutiles, après une quarantaine de livres et sans doute autant en projet. Le portrait proposé par Malaterre est saisissant, parce qu’il communique – pour une fois -le sentiment d’une vérité en mouvement: lorsque l’écrivain déclare qu’il a renoncé aux « postures » sociales, on le croit. On le croit parce qu’il ajoute qu’il faut avoir goûté comme lui aux saveurs bien réelles de la « réussite » – reconnaissance, succès, mondanités – pour prendre plaisir, ensuite, à s’en priver. On le croit surtout parce qu’on le voit: en France ou au Japon, c’est un écrivain sur le métier, offrant à chacun les coulisses de son œuvre jamais arrêtée – son corps à l’œuvre. Un savant fou dans son laboratoire secret, furieusement sympathique, excessivement pressé. Comme on parle de work in progress : un Quignard « en progrès ».